jeudi 16 avril 2009

Puisque c’est comme ça, je me casse...


Le chemin (ou plutôt ce qui ferait office de...) étant hasardeux, Amélie rebrousse chemin. Pascal et moi décidons de continuer. Malgré le plaisir peu évident de la montée dans ces conditions, nous poussons jusqu’au glacier d’où la vue est à couper le souffle. Là est déjà la première erreur... Ils continuent la balade jusqu’au bout alors que je me pèle à les attendre (et ils le savent...). Au bout d’un moment, entre colère et inquiétude, mon cœur balance...




Je souffle à Pascal que Amélie a très bien fait de rebrousser chemin par elle-même, et que peut-être aurions-nous du faire la même chose. Ironiquement au vue de la suite des évènements, je lui dit sur le ton de la blague que, comme le dit Joe Simpson dans le film « La mort suspendue » (« Touching the void »), 80% des accidents interviennent en descente, et qu’on va certainement en baver pour redescendre... mais pour autant je n’ai aucune appréhension particulière lorsque nous repartons.
A mi-chemin de la lagune, je m’engage sur une pente recouverte partiellement de neige résiduelle. Il est 16h30. Vous l’aurez deviné, je glisse... une glissade comme chacun peut en faire pour ensuite se relever en laissant échapper un ou deux jurons, et c’est tout.
Sauf que dans mon cas ma glissade se poursuit sans que je ne puisse m’arrêter, je prends même de la vitesse, passe une première corniche, tombant lourdement en contrebas, puis une seconde, peut-être une troisième (j’ai pas compté), et arrive finalement à m’agripper à quelques « Lengas » (arbre local) qui poussaient par là. Au final une glissade d’une quinzaine de mètres et une succession de 2 ou 3 chocs violents.
Pascal me rejoint au plus vite, me demandant si je vais bien.
Me fiant à ma douleur, je réponds que je crois avoir la jambe gauche cassée. Lorsqu’il arrive à ma hauteur, nous jetons un coup d’œil à la jambe incriminée : le pied étant orienté à 90° plus à gauche de son axe normal, le doute était peu permis.



Pardon pour la longueur du récit qui suit. Si ce niveau de détail ne vous intéresse pas, il suffit de ne pas lire ou de ne lire que les phrases en gras.


Pascal me dit qu’il faut que nous descendions jusqu’au lac, qu’il ne peut pas me laisser là tout seul (j’avais une plaie au front, et le traumatisme crânien n’était pas à exclure). La priorité est alors de me sortir au plus vite de la corniche sur laquelle nous nous trouvons, celle-ci étant pentue et exposée.
Je sens mes os cassés à l’intérieur de la jambe qui bougent. Au delà de la douleur que ça génère, c’est très perturbant.
Je ne me sens pas capable de me traîner comme Pascal me le demande. Il tente de me porter mais nous manquons de glisser tous les deux (il faut dire que je pèse une centaine de kilos, soit bien plus que Pascal). Je lui dis que je vais essayer de le faire mais que j’aurais besoin d’une attelle. Nous tentons rapidement de fabriquer une attelle de fortune avec quelques branches et un tee-shirt, mais les branches sont fragiles et le stress ne nous aide pas à soigner notre travail. Le résultat n’est pas satisfaisant. Je me remets sur mes genoux, mon genou gauche va bien, et arrive très péniblement à sortir de la corniche. J’annonce à Pascal que je me sens incapable de descendre sans attelle et que je préfère qu’il parte chercher de l’aide et du matériel pour me sortir de là.
Il m’aide à me caler sur un arbuste pour m’empêcher de glisser de nouveau et commence à descendre à toute vitesse en caleçon / tee-shirt, ses pull et pantalon étant restés avec moi pour me tenir chaud. Ma jambe est couchée de manière à ne pas pouvoir bouger. Je suis étonné de constater que je ne souffre pas.
Avec ma patte folle j’avais l’air d’un con, ma mèèèèèreeeee !!! (bis)
Mais je me dis aussi que ça aurait pu être bien pire... plaie ouverte, deux jambes cassées pour le prix d’une, voire un atterrissage sur le pierrier quelques mètres en contrebas...


J’attends une heure peut-être avant qu’Amélie me rejoigne. Elle m’installe plus confortablement (glissant un sac sous mon derrière) et m’apporte de nouvelles couches de vêtement essentielles, car immobilisé et avec la tombée de la nuit je me refroidi à toute vitesse, et mes tremblements de froid ironiquement me font souffrir au niveau de ma fracture.

Pascal nous rejoint 2 heures après avec corde, baudrier et... attelle.
Le temps de m’enfiler quelques couches de vêtement supplémentaires, un baudrier, l’attelle et de m’emballer la jambe tel un œuf de Pâques, nous amorçons une très longue descente par tronçons successifs de 30 mètres, distance maximale autorisée par la longueur de la corde qui nous assure tous les deux, Amélie et moi. Amélie me précède, puis je la suis me laissant glisser sur les fesses pendant qu’elle surélève mon œuf de Pâques pour éviter tout choc.
Le terrain est particulièrement difficile, nous traversons à plusieurs reprise une rivière en provenance directe du glacier (et je n’ai pas pu enfiler de pantalon), je fatigue rapidement, somnolant à chaque pause, aidé en cela par les antalgiques avalés. Il faut dire que je l’ai un peu chargé mon homme pour qu’il n’ai pas trop mal. Heureusement la lune est presque pleine, et le ciel à peu près dégagé, quelques gouttes seulement sont là pour nous rappeler que ça pourrait être bien pire.
Nous avançons lentement mais je ne souffre pas ou peu
, notamment grâce au soutien, aussi bien moral que physique, d’Amélie.
Nous mettrons quelques 9 heures à descendre jusqu’à la lagune (là ou la montée ne nécessite normalement que ¾ d’heure) où Chus avait dressé un camp de fortune. Nous arrivons tous exténués, et je laisserai échapper quelques larmes de fatigue pour évacuer une partie de la tension accumulée.

1 ou 2 heures de repos sans sommeil après, attendant ainsi le lever du jour, Chus et Pascal redescendent au Campo chercher du secours. De mon côté je dors d’un vrai sommeil plusieurs heures.


Pascal revient vers 12h30 accompagné de 5 paires de bras et d’un brancard. Mais me porter sur un brancard, même à 7, c’est difficile, et nous comprenons vite qu’il sera très pénible de me faire redescendre au Campo (la pente est raide et les obstacles au sol nombreux), et la possibilité de l’envoi d’un hélicoptère apparait de loin comme la meilleure solution. Les secouristes (en réalité des employés de l’hôtel voisin) aménagent un héliport de fortune et allume un feu si possible avec beaucoup de fumée pour facilité notre repérage.


Beaucoup, beaucoup de communications radio avec carabineros, assurance et secours locaux plus tard, soit vers 17h (et 24 heures après la chute), un hélicoptère s’approche. Problème, les coordonnées qu’on lui a communiqué sont mauvaises, et il ne nous trouve pas au premier passage, doit se poser à l’hôtel pour demander des informations plus précise avant enfin de nous repérer. Lors de la 2ème approche de l’hélico, la bonne, c’est à mon tour d’avoir quelques sanglots nerveux, l’accumulation du stress de ces 24h débordant...


Malgré l’organisation impeccable de Pascal, Chus et du personnel particulièrement disponible de l’hôtel, nous comprenons que ma prise en charge ne sera pas facile. Nous n’imaginions pas à quel point : les jours qui suivront seront une succession de dysfonctionnements graves de la part des différents acteurs chargés de celle-ci ... mais ça c’est une autre histoire.



Nous arriverons finalement en hélicoptère à Cochrane (avec au passage un sacré paysage pour ceux qui ne sont pas alités à même la carlingue), nous serons amenés dans un hôpital, on m’y apportera enfin les premiers soins, ce qui se limitera à la désinfection des plaies externes et la pose d’un plâtre provisoire. Car « malheureusement, l’appareil radiographique est en panne en ce moment ». Et ben on est pas rendu... On pensait que le pire était derrière nous...

La morale de cette histoire est que j’ai été bien con.

Désolé, je suis pas La Fontaine moi, et les moralités c’est pas mon fort...


2 commentaires:

Christophe a dit…

C'est juste super flippant cette histoire, enfin ce qui compte c'est que tu puisses la raconter.
"Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort". ;)
Bon courage et bisous.

Emmanuelle Julien a dit…

whaouh ....
très impressionnant ce que vous avez vécu, on est content que Sylvain soit arrivé dans un vrai hôpital
on pense à vous
Marc et Manue